L'art du style

Vêtements modestes pour femmes modernes, par Halima Aden

En 2016, une jeune femme musulmane du nom d’Halima Aden est entrée dans l’Histoire en devenant la première participante au concours Miss Minnesota USA vêtue d’un burkini et d’un hijab. Quatre ans plus tard, elle est devenue l’un des mannequins les plus populaires de sa génération, a défilé pour les plus grands designers, et a même fait la couverture du magazine de maillots de bain iconique Sports Illustrated. Mais c’est son investissement pour une représentation positive des jeunes femmes musulmanes qui la motive le plus. Dans cette interview, elle discute avec PORTER de ses rêves, de ses robes favorites et de comment elle compte changer les choses.

Mode

L’accent est toujours mis sur ce que portent les enfants pour l’Aïd. Je me souviens que ma mère préparait ma tenue un mois à l’avance. Une année, j’avais même dormi avec tellement j’étais excitée de l’essayer la veille et aussi parce que je savais que je me réveillerais tôt le lendemain pour la prière. J’ai beaucoup de souvenirs de cette période, entre huit et dix ans, où j’allais faire des courses avec ma mère. Là où je vis, dans le Minnesota, nous avons la plus grande communauté de la diaspora somalienne au monde, donc il y avait beaucoup de filles de mon âge qui faisaient aussi la fête. Le choix vestimentaire n’était pas très exhaustif à l’époque, alors nous devions nous ruer dans les magasins somaliens dans la mesure où beaucoup d’entre eux recevaient leurs commandes de l’Aïd environ un mois à l’avance. Je me disais : « Premier arrivé, premier servi, on y va, maman ! »

J’ai une idée de ce que je vais porter cette année, j’en ai déjà donné un aperçu sur Instagram. Il s’agit d’une robe blanche Ellery très sophistiquée, ma famille me rirait probablement au nez si elle me voyait dedans. Le style décontracté règne encore en maître au Minnesota, je pense donc que j’opterai pour une jolie robe d’été avec un blazer ou une jupe à motifs. Une tenue plus discrète mais tout aussi habillée. Mais dans mon monde idéal, j’aimerais porter cette robe du soir blanche pour commencer l’Aïd avec un foulard suivant la forme d’une queue de cheval et drapé sur une épaule.

Mon premier souvenir mode remonte sûrement au moment où j’ai vu ma mère porter un jilbab et un hijab de deux couleurs différentes. C’est là que j’ai compris qu’associer différentes nuances pouvait offrir un beau rendu. Je me disais : « Maman est si jolie dans ce ton de rouge. » En grandissant, j’avais beaucoup d’icônes mode et de personnes que je respectais et qui ne me ressemblaient pas, et en même temps, j’aurais voulu que quelqu’un me dise : « Tu pourrais avoir l’air aussi cool, branché et jeune tout en respectant les exigences de ta garde-robe. »

La robe Ellery qu'elle rêve de pouvoir porter pour l'Aïd.

J’ai toujours su que le hijab faisait partie de moi. J’ai envie de pouvoir fouler un tapis rouge ou d’assister au mariage de mon cousin et de me sentir glamour, belle et sûre de moi tout en portant quelque chose qui sous-entend que j’ai 22 ans et que je suis pleine de vie. Pendant très longtemps, il était impossible de trouver des tenues à la fois pudiques et modernes. Je suis vraiment reconnaissante que nous vivions à une époque où les gens se rendent compte que cette mode est la plus ancienne, et pas seulement pour les femmes musulmanes. Elles sont bien plus nombreuses à choisir des vêtements discrets.

Ma participation au concours de Miss Minnesota USA en 2016 a réellement changé ma vie. Au-delà d’être un instant de vie positif, cela a permis au monde de découvrir ce qu’était un burkini. J’ai moi-même grandi sans savoir que ce genre de maillots de bain existait. C’était également la première fois que quelqu’un portait un hijab et un burkini sur la scène d’un concours de beauté. Cela m’a permis d’apparaître dans le numéro iconique de Sports Illustrated dédié aux tenues de bain en 2019 – un moment plus que de décisif dans ma carrière.

Ce n’est pas comme si les femmes musulmanes ne voulaient pas bien s’habiller ou faire du sport. Il existe donc un énorme besoin et je pense que les entreprises commencent peu à peu à s’en rendre compte. Je ne sais pas si j’ai joué un rôle dans cette prise de conscience mais il est certain que les choses ont évolué tout au long de mon parcours. Je continue à recevoir des messages de parents me disant que leur fille prend des cours de natation pour la première fois, et cela me touche énormément. Encore à ce jour, je ne sais pas nager parce que nous n’avions pas de burkinis quand j’étais enfant. Vous comprenez donc que je trouve ce nouveau monde passionnant. Mais cela ne s’arrête pas seulement aux vêtements ou à l’apparence, l’impact sur la vie des femmes sera beaucoup plus conséquent. Je suis très heureuse que ces jeunes filles puissent bénéficier d’une représentation positive que je n’ai jamais eue, et que la génération de ma mère ne risquait pas d’avoir non plus, à savoir celle d’une jeune femme musulmane qui porte un hijab, vit dans une petite ville du Minnesota et qui a réussi dans la mode. Je n’ai pas eu à changer qui je suis ; c’est le message que je pense transmettre à ces jeunes filles.

Pendant longtemps, j’ai considéré les vêtements comme une armure pour couvrir mes arrières. Cela remonte sûrement à la période où je vivais dans un camp de réfugiés. Les choses ont changé maintenant et j’arrive à prendre du plaisir et à m’amuser avec la mode, en essayant différents styles par exemple. Lorsque j’ai une séance photo, j’emporte une valise de hijabs déclinés dans différents coloris et imprimés, ainsi que des cols roulés puisque j’imagine que les gens n’ont pas l’habitude de travailler avec une personne portant un hijab. Il faut que ce soit un partenariat, ce qui est une position unique.

Mon objectif est d’inspirer le plus grand nombre de jeunes filles possible afin qu’elles puissent ensuite ouvrir la voie au prochain groupe de filles, qui pourront à leur tour en inspirer d’autres. En fin de compte, nous, les femmes musulmanes, avons besoin de plus de visibilité et je suis heureuse de faire partie de ce mouvement, mais je sais qu’il y a encore beaucoup de travail. Je suis tellement reconnaissante que nous ayons des femmes comme Ibtihaj Muhammad qui est une escrimeuse olympique ; la première Barbie hijab à son effigie vient de sortir. Ces choses sont positives pour notre communauté, alors nous allons continuer.

Je vais être honnête, il y a tellement de fois dans la vie, même en étant adulte, où on se pose ce genre de questions : « Pourquoi dois-je être la seule dans un espace qui me ressemble ? Ne serait-ce pas plus facile si je ressemblais à tout le monde ? » Je veux éliminer cette façon de penser. Soyez simplement vous-même et les bonnes personnes vous accepteront pour ce que vous êtes. Le changement a du bon et il est nécessaire, mais il y a une différence entre changer parce que vous voulez changer et ressentir la pression nécessaire pour vous conformer afin d’être autorisé à entrer dans un espace. Et tout cela découle d’un manque de représentation parce que vous ne pouvez pas être ce que vous ne voyez pas.

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Son apparition historique au concours de beauté Miss Minnesota USA en 2016, et défilant sur le podium AH17 de Max Mara lors de la Fashion Week de Milan.

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