Une vie pas comme les autres
Avec
Lisa Bonet

Depuis son rôle inoubliable dans le Cosby Show, dans les années 80, LISA BONET s’est distinguée par son élégance singulière et sa personnalité affirmée, bien loin des clichés hollywoodiens. Elle raconte à SANJIV BHATTACHARYA son parcours inspirant, et lui explique pourquoi sa famille (ânesse incluse) passe avant tout.
« Salut, mes bébés ! », lance Lisa Bonet, tandis que nous marchons à travers l’immense terrain de sa propriété située à proximité de Los Angeles. Elle s’adresse à ses animaux (il faut dire qu’elle possède une sacrée ménagerie). « Voilà Amba et Zion, mes loups. Enfin, mi-loups, mi-Malamute », précise-t-elle, alors que deux impressionnants canidés rappliquent jusqu’à la barrière pour lui faire la fête. Puis retentit comme un bruit de klaxon, qui fait s’illuminer le visage de Lisa. C’est son ânesse, Freya. « Est-ce qu’elle n’est pas jolie ? On ira marcher plus tard, chérie ».
Ses voisins ont pris l’habitude de voir l’actrice du Cosby Show déambuler en ville avec son amie à quatre sabots. Bonet habite dans son « sanctuaire » depuis 24 ans, et l’a aménagé à son image. Des drapeaux de paix tibétains flottent au vent, des cailloux et haricots dessinent des mandalas sur le sol. Lorsqu’elle s’y est installée, elle était seule avec sa fille de cinq ans, Zoë, née de son union avec Lenny Kravitz. Elle le partage aujourd’hui avec son époux, l’acteur et producteur Jason Momoa, et leurs deux enfants, Nakoa-Wolf, 9 ans, et Lola, 10 ans. « Je sais que le sud de la Californie n’a pas bonne réputation, mais je l’adore. Vous pouvez vous construire la vie que vous souhaitez, ici. »
Bonet a toujours tracé sa propre route. C’est sa nature réservée, bohème et sauvage, qui veut cela. Elle apparaît de temps à autres sur nos écrans, récemment dans la série Ray Donovan, mais ce n’est pas en tant qu’actrice qu’elle se fait le plus remarquer. Elle incarne cet archétype de la femme belle et forte, de la mère protectrice, mais aussi l’image d’une hippie qui défend sa liberté bec et ongles. Et qui, tête haute, mène sa barque exactement comme elle l’entend.
Sa vie, là-haut dans les montagnes, est « calme, tranquille, et, oui, un peu recluse. Mais c’est mon tempérament de Scorpion, je suis plutôt solitaire », explique-t-elle. Elle est parfaitement à sa place, pieds-nus, vêtue d’un pantalon large et enveloppée dans une couverture indienne, coiffée d’un chapeau de paille qui couvre en partie ses dreadlocks.
“Le monde n’était pas prêt pour ce que je représentais. [J’ai essayé] de ne pas intérioriser la haine que l’on projetait sur moi”
Et c’est une maman très en phase avec la nature. Chez les Bonet, la télé est bannie, il n’y a qu’un seul ordinateur, et Lisa ne sort jamais son portable devant ses enfants. À la place, elle les encourage à jouer dehors. « Je ne me suis jamais sentie aussi fière que le jour où, à la question “quel est le but de la vie ?”, Nakoa-Wolf a répondu “protéger Mère Nature, évidemment. Mais Dieu aussi veut jouer avec Mère Nature.” Je me suis dit que mon boulot était fait ! »
Lisa est née en plein milieu du mouvement hippie, en novembre 1967, à San Francisco, d’une mère blanche juive, institutrice, et d’un père noir chanteur d’opéra. Ses parents se séparent juste après sa naissance, et elle reverra rarement son père par la suite. Sa mère déménage à San Fernando Valley, près de L.A., et l’élève seule. À cette époque, il n’était pas tous les jours facile d’être métis. « Le monde n’était pas prêt pour ce que je représentais, se souvient l’actrice. Je ne me suis pas toujours sentie bien accueillie, que ce soit dans la famille de ma mère ou à l’école. Je me suis en quelque sorte protégée en me rebellant, car je ne me suis jamais vraiment sentie en sécurité. » Si elle pouvait revenir en arrière, elle mettrait un point d’honneur à s’aimer davantage. « Et à essayer de ne pas intérioriser le dédain et la haine que l’on projetait sur moi. »
“Je n’avais pas connaissance des actions [de Bill Cosby]… Mais il y avait cette énergie. Sinistre et sombre, qui ne peut pas être dissimulée”
Comme nombre de ceux qui s’auto-désignent marginaux, elle a trouvé le réconfort dans l’art dramatique. À 16 ans, elle obtient le rôle de Denise Huxtable dans le Cosby Show, et ensuite dans son spin-off, Campus Show – deux des séries les plus populaires à l’époque. Est-ce que les récentes accusations contre Bill Cosby ont terni ses souvenirs ? « Pas du tout, ils sont intacts », assure-t-elle en me regardant droit dans les yeux. Mais, est-ce qu’elle a senti qu’il se passait quelque chose ? « Je n’avais aucune connaissance de ses actions… Mais il y avait cette énergie. Ce genre d’énergie sinistre et sombre, qui ne peut pas être dissimulée. » A-t-elle eu un pressentiment ? « Absolument. Mais si j’avais quoi que ce soit de plus à révéler, je l’aurais fait il y a longtemps. C’est ma nature. La vérité vous libère. »
À cette période, Bonet portait l’étiquette de l’ado rebelle qui éprouvait la patience du papa de sitcom le plus aimé du pays. Elle arrivait en retard sur le tournage, et a posé seins nus dans le magazine Interview, bien que Cosby s’y soit fermement opposé. Elle a également accepté, contre le gré de ce dernier, un rôle dans le film Angel Heart : Aux portes de l’enfer, dans lequel elle a tourné une scène de sexe nue avec Mickey Rourke. « Inutile de dire “je t’avais prévenu” », fait-elle pour tout commentaire au sujet de l’affaire Cosby. « Je laisse le karma et la justice faire leur œuvre. »
Cela coïncide aussi à l’époque où elle a rencontré Lenny Kravitz : comme un feu d’artifices, leur mariage était explosif et intense, mais, comme un feu d’artifice, il a été éphémère. À quoi s’attendait-elle, lui demandé-je, elle a épousé une rock star ! Et de me sourire « Il ne l’était pas quand je l’ai rencontré ». Ils étaient presque trop bien assortis. Tous deux à moitié juifs, tous deux métis, tous deux beaux et portant des dreadlocks, tous deux jeunes et talentueux. Lenny avait 23 ans et Lisa 20. Un an après leur rencontre, Lenny a signé un contrat, et Lisa a co-écrit quelques-unes des chansons de son premier album. Quand elle est tombée enceinte de Zoë, « les gens dégringolaient du toit en essayant de voler des photos. » Le divorce, six ans plus tard, a été terriblement douloureux. Mais avec Zoë sous sa responsabilité, Lisa n’a pas eu le temps pour les récriminations. Bonet a traversé ce qu’elle appelle « une période très accélérée, spirituellement et intellectuellement ». Autrement dit, elle a grandi très vite. Déterminée à ne pas encombrer sa fille avec ses propres bagages émotionnels (« je ne voulais pas lui passer ce poids, et cette blessure ouverte qu’était le divorce »), elle s’est réconciliée avec Kravitz et s’est concentrée sur son enfant. « Certaines étapes de votre vie peuvent soit vous faire sombrer, soit vous permettre de connaître qui vous êtes, et de vous relever plus forte. »
“Quand votre première figure masculine n’en a rien à faire de vous. Ça devient un thème récurrent dans votre vie, essayer de combler le vide avec différents hommes”
Ce n’était pas un moment facile. Il y a aussi eu ce tremblement de terre en 94, qui a mis Zoë et Lisa à la rue (« on faisait littéralement du camping dehors ! ») avant de trouver le ranch dans lequel elle vit aujourd’hui. Sa mère l’a énormément aidée, mais elle est décédée il y a 20 ans de cela. Rien que d’y repenser fait monter les larmes aux yeux de Bonet. « Elle avait bon cœur. Elle m’aimait », dit-elle d’une voix qui se brise. Elle a connu des déceptions professionnelles, aussi. Les quelques films dans lesquels elle a joué n’ont pas rencontré un franc succès, et elle s’est un peu retirée des feux des projecteurs en s’engageant pour une association à but non-lucratif, Operation Venice Heart, qui aide les jeunes incarcérés à Los Angeles. « Nous allions leur rendre visite en prison, et nous les écoutions, tout simplement. »
En 1998, elle joua dans Ennemi d’État avec Will Smith, puis dans le succès High Fidelity, aux côtés de John Cusack, dans lequel elle chante également. Je n’ai pas pu m’empêcher de poser cette question délicate… Pourquoi Lisa n’est-elle pas devenue une plus grande star ? Elle rit. « Je n’en sais rien ! J’ai toujours eu un pied dans le business et un autre en dehors. Mais, aussi, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent ! Les femmes de couleur ne croulent pas sous les opportunités, comme vous l’avez peut-être remarqué. » À cette époque, la vie sentimentale de Bonet était assez instable. « Voilà ce qui arrive quand votre première figure masculine n’en a rien à faire de vous. Ça devient un thème récurrent dans votre vie, et vous essayez de combler le vide avec différents hommes. »
“Jason est un mâle alpha qui fait passer l’amour et la famille avant tout. Avec un père absent, construire une relation si solide avec un tel homme est incroyable”
Mais, ensuite, elle a rencontré Momoa, de 13 ans son cadet, en 2004 dans un club de jazz de L.A. « Je ne peux pas dire que ça a toujours été un long fleuve tranquille, mais nous en sommes ensemble depuis le jour où nous nous sommes rencontrés », raconte-t-elle. Il avait besoin qu’on le ramène chez lui ce soir-là, elle s’est alors portée volontaire, et ils se sont arrêtés dans un bar pour boire une Guinness en chemin. « Nous sommes tombés amoureux, c’était très fort. Et il n’est pas parti en courant comme beaucoup d’hommes le font, selon moi. » Elle rit encore. « Il m’a balancée sur son épaule, comme un homme des cavernes ! ». Ils sont vraiment très heureux, à présent. Lenny et Jason sont amis, les enfants sont soudés, Thanksgiving est un grand événement chez eux – les deux familles sont connues pour s’entendre à merveille. « C’est fantastique. Il y a tellement d’amour sous notre toit », s’émerveille-t-elle.
Je lui rapporte que beaucoup de femmes l’envient, elle qui, d’une star du rock, a ensuite rencontré un super héros. Elle me corrige encore une fois « Il ne l’était pas quand je l’ai rencontré ! L’histoire se répète. Ce que j’aime chez Jason, c’est que c’est un mâle alpha et qu’il fait passer l’amour et la famille avant tout. Et avec les blessures que j’ai, avec un père absent, avoir construit quelque chose de si solide avec un homme comme lui, c’est vraiment incroyable. Jason incarne une forme de masculinité rare de nos jours, et à son âge. C’est un leader, il est généreux. Que ce soit en termes de charisme, de physique, de la manière très juste dont il use de son pouvoir, de responsabilité, d’éthique au travail… La liste de ses qualités n’en finit pas. »
Momoa est en voyage pour le travail en ce moment. Zoë aussi. Donc Bonet a tout le temps de se concentrer sur le prochain chapitre de sa carrière. Et il ne s’agit peut-être pas de cinéma. « Jouer m’a permis d’aller de l’avant, mais je ne pense pas que ce soit ma passion. Que va-t-elle faire, alors ? « Peut-être de la réalisation. J’écris, aussi, répond-elle en restant vague. J’ai des idées. Il y a un film, une émission de télé pour enfants, et un documentaire. J’ai l’âme d’une artiste, mais je ne sais pas encore comment m’exprimer. »
Nous rentrons dans la maison. Momoa a suggéré de déménager à Hawaii, ou en Nouvelle-Zélande, mais Bonet est réticente : « je ne suis pas encore prête à disparaître complètement ! ». Elle envisage tout de même le Costa Rica. « Je ne pense pas qu’ils aient une armée, là-bas. Ils utilisent l’argent pour l’éducation, vous imaginez ? » Mais ça reste encore un lointain projet. En ce moment, quelque chose de bien plus important la préoccupe. « C’est l’heure d’aller promener mon âne ! »
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