L'art du style

Rencontre avec Grace Wales Bonner

Tissant des liens entre les communautés et les cultures, GRACE WALES BONNER se charge, petit à petit, de changer le futur de la mode. ALICE CASELY-HAYFORD s’est entretenue avec la créatrice qui apporte un coup de fouet à l’industrie, juste avant le lancement de sa collaboration avec Adidas.

Mode

En février 2020, avant que le monde ne se retrouve dévasté par la pandémie, la créatrice Grace Wales Bonner s’est rendue en Jamaïque, île qui l’inspire depuis le lancement de sa marque en 2014. Ses origines britanniques et jamaïcaines, ainsi que le lien diasporique entre les idées européennes et afro-atlantiques sont des thèmes récurrents dans ses collections, et elle s’y est plongée pendant la pause imposée par le virus. « Cela m’a donné l’opportunité de me reconnecter à mes valeurs et de revenir à l’essentiel. J’en ai profité pour revenir à l’essence de la marque. Pour penser à ce que je veux continuer, et à ce que je veux laisser derrière moi. Avoir la possibilité de réfléchir et d’affiner ma pensée a été très bénéfique. »

Ces thèmes se retrouvent dans ses 3 collections, à commencer par Lovers Rock, la collection AH20 dévoilée en janvier et inspirée de la communauté jamaïcaine de Londres, puis Essence, la collection PE21 qui explorait les origines de la musique dancehall au début des années 80 en Jamaïque. « J’essaie d’utiliser les saisons et la structure des fashion weeks pour explorer une idée sur une période plus longue », explique Wales Bonner. « Certaines conversations que j’ai eues à Kingston en février dernier tournaient autour du film [Thinkin Home de Jeano Edwards], mais inspireront aussi ma prochaine collection. Il y a un peu plus de continuité dans le temps, j’enrichis mes idées à travers un dialogue continu, ce qui est très satisfaisant. »

Adidas Originals x Wales Bonner.

Amplifier les voix Noires et les histoires Noires a toujours été d’une importance capitale pour Wales Bonner. La résurgence du mouvement Black Lives Matter en mai dernier a permis d’offrir encore plus de visibilité aux créatifs Noirs dans les médias mainstream, ainsi que de faire un pas sincère vers plus d’inclusion (mais qui peut aussi être ressenti comme anecdotique).

« C’est le travail d’une vie », dit-elle au sujet de l’engouement soudain pour les histoires Noires et son dévouement à diversifier l’industrie de la mode et à étendre les récits autour de l’Histoire Noire. « Nous n’avons pas changé ce que nous faisons…c’est pourquoi j’ai décidé d’y consacrer ma carrière. »

« Pour créer une marque de luxe avec une perspective culturelle Noire, Wales Bonner doit être indépendante. Elle a besoin de cet espace, et [les événements de cette année] réaffirment cette importance. Il n’y a pas beaucoup de [marques de luxe possédées par des personnes Noires], donc il y a encore du chemin à parcourir. »

Il règne un vrai esprit d’entraide. Il est essentiel pour moi de trouver une communauté créative très tôt, et de créer quelque chose d’authentique
Adidas Originals x Wales Bonner.

Après avoir lancé une marque de luxe et rencontré un succès phénoménal en l’espace de quelques années, Grace aurait-elle l’ambition de devenir la directrice artistique d’une maison de luxe internationale ? « Le but ultime est que Wales Bonner devienne une marque de luxe essentielle. Travailler avec d’autres marques est très intéressant, surtout si elles ont un héritage spécifique. Cela m’aide à étendre ce qu’est Wales Bonner. Vu comment les choses évoluent, collaborer est plus facile et apporte un bénéfice mutuel. Quand je lui demande si la question a déjà été évoquée, Grace répond que « cela pourrait être une possibilité si c’était la bonne marque. »

Bien que devenir directrice artistique d’une grande maison de luxe ne soit pas encore à l’ordre du jour, ce qui est certain, c’est que la créatrice aime les collaborations. La trentenaire a en effet travaillé avec Manolo Blahnik, et, en 2019, Maria Grazia Chiuri l’a invitée à réinterpréter la silhouette New Look pour la collection Croisière 2020 de Dior.

« Elle a un point de vue très fort, elle aime ce qu’elle fait », a récemment dit Mr Blahnik à PORTER. « C’est une fille divine, très chic, qui a le sens de la pureté. Elle ne porte que deux ou trois choses, comme une veste, une tunique et des souliers, et elle les porte si bien. Pour moi, elle est la plus extraordinaire des créatrices. »

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Grace est particulièrement attirée par les collaborations qui l’intimident. « J’ai toujours été à la recherche de l’excellence, et voulu mettre la barre toujours plus haut en relevant des défis », explique-t-elle. « Je suis toujours ouverte à l’idée de points de vue multiples, j’aime aborder un sujet en fonction de différents angles et de différentes voix, et explorer ce qu’il pourrait être. Cela m’aide à agrandir le champ de mes possibles, et d’apprendre beaucoup au passage. »

Ce mois-ci sera lancée une collection capsule avec Adidas, qui se compose de mailles rouges, jaunes, vertes et noires, aux couleurs de la Jamaïque, de survêtements élégants, de hauts de foot, de blouses à smocks, de cafetans en soie, de pantalons en crochet arborant les rayures emblématiques de la marque, et de baskets colorées. La capsule accompagne Lovers Rock, la collection AH20 de Wales Bonner présentée en janvier dernier à Londres, qui s’étend à Essence, sa collection PE21. La designer a travaillé en étroite collaboration avec l’équipe recherche d’Adidas, parcourant les archives de la marque pour explorer son histoire, et découvrir comment la musique dancehall l’a inspirée dans les années 80. Le résultat est joyeux, sensuel et ensoleillé, il y a une fluidité entre les collections pour femme et homme grâce à des détails militaires et des emblèmes dorés.

J’ai toujours été attirée par les marques avec un héritage particulier, une sorte de classicisme. Quand je crée, j’essaye d’atteindre un point entre deux mondes
Adidas Originals x Wales Bonner.

« C’était génial de travailler avec Adidas. J’ai toujours été attirée par les marques avec un héritage particulier, une sorte de classicisme. Quand je crée, j’essaye d’atteindre un point entre deux mondes. J’aime le fait qu’Adidas honore son histoire. Je me suis sentie connectée à cette manière de regarder dans le passé et vers le futur, et d’observer comment les autres cultures s’approprient et interprètent les choses. L’intention était de transformer. Je voulais explorer cela et apporter la sensibilité des tenues du soir au sportswear : mettre de la beauté dans ce que vous portez au quotidien. L’équipe maîtrisait parfaitement l’aspect technique, et pouvait développer des choses que je n’aurais pas pu développer moi-même. Trouver des partenaires qui peuvent étendre votre vision pour créer quelque chose d’accessible est très important. Je suis aussi très heureuse de pouvoir faire découvrir ma marque à une plus vaste audience grâce à cette collaboration. »

Grace Wales Bonner agrandi aussi son audience à travers l’exploration de différents médias, que ce soit un film, une exposition (comme A Time for New Dreams qui s’est tenue à la galerie Serpentine début 2019), ou sa nouvelle plateforme digitale et outil d’éducation, Between Critique and Hope.

« Je suis intéressée par l’idée de publier. Avec Essence, je voulais offrir aux gens un aperçu de mon processus de pensée et une approche de mon point d’inspiration et du dialogue que les gens ont pu avoir autour de ces idées. »

« Ma recherche pratique et ma pratique créative sont deux choses très importantes pour moi. C’est ce qui est à l’origine de tout ce que je fais pour Wales Bonner. Between Critique and Hope a pour but d’archiver une pratique artistique. C’est une base de données de recherche et de références qui permettent d’observer des sujets nuancés avec précision. C’est une façon d’offrir des expériences positives et des ressources éducationnelles. Ces six derniers mois, nous avons reçu tant d’informations, et les consciences ont tellement changé que ç’a été très éprouvant. »

Avant de lancer sa marque, tout en étudiant à la Central Saint Martins, Grace Wales Bonner a travaillé pendant un an avec le duo de Meadham Kirchhoff à Londres. Un nombre impressionnant de jeunes talents ont fait leurs classes chez les deux créateurs, dont la designer d’origine nigérienne Mowalola. Bien qu’elle vienne d’avoir tout juste 30 ans elle-même, Grace croit en l’importance de soutenir les nouveaux talents et de créer un réseau de soutien.

Pour créer une marque de luxe avec une perspective culturelle Noire, Wales Bonner doit être indépendante. Elle a besoin de cet espace, et [les événements de cette année] réaffirment cette importance. Il n’y a pas beaucoup de [marques de luxe possédées par des personnes Noires], donc il y a encore du chemin à parcourir
Adidas Originals x Wales Bonner.

« J’ai aussi travaillé avec Max Davis, qui vient tout juste de lancer sa marque, ce qui m’impressionne énormément », dit-elle avec enthousiasme. « Il règne un vrai esprit d’entraide. Il est essentiel pour moi de trouver une communauté créative très tôt, et de créer quelque chose d’authentique. Quand j’ai commencé, je ne pensais pas pouvoir approcher ou parler aux gens, mais maintenant ils sont plus généreux et veulent aider. Beaucoup du travail que les gens abattent aujourd’hui créera des possibilités pour les futures générations.

Il ne fait aucun doute que Grace Wales Bonner va vivifier l’industrie de la mode avec ses créations chargées de sens et réfléchies. « Je veux mettre une intention dans tout ce que je fais. C’est une chose graduelle, c’est un travail d’endurance… je veux créer quelque chose de durable et d’impactant pour le futur, et c’est un voyage excitant. »

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