De l’importance des sourcils de Frida Kahlo

Les autoportraits extraordinaires de cette peintre mexicaine nous prouvent que sur ses toiles comme dans la réalité, elle considérait son image comme elle l’entendait, en valorisant les traits qui la caractérisent – son duvet au-dessus de la bouche et ses sourcils qui se rejoignent. Dans une citation célèbre, elle déclare même : « Je suis ma propre muse. Le sujet que je connais le mieux. Le sujet que je souhaite le mieux connaître. »

Depuis longtemps, le célèbre « monosourcil » de Frida Kahlo est devenu le symbole de son féminisme, incarnant le refus de se plier aux conventions. Cet éclair sombre, posé sur son regard noir, est un étendard brandi contre les canons de la beauté féminine.

En mars 2018, Mattel sortait sa Barbie Frida Kahlo, provoquant les réactions houleuses que l’on sait. Cette fois, ce n’était pas à cause de la plastique improbable de Barbie. C’était la pilosité faciale de la Barbie-Kahlo, largement sous-estimée, avec des sourcils séparés et une moustache carrément gommée, qui déclenchait une importante controverse. Cette « épilation » semblait ne pas respecter le sens que l’artiste accordait à sa manière de se représenter.

En été 2018? une exposition au V&A Museum à Londres, intitulée « Frida Kahlo: Making Her Self Up », explore comment l’artiste, à travers les vêtements et les objets personnels qu’elle a utilisés pour exprimer son héritage culturel, sa féminité et ses opinions politiques, a façonné son identité visuelle. Parmi les objets exposés, on trouvait notamment le crayon qu’elle utilisait pour accentuer son monosourcil. Dans les années 1940, Frida Kahlo défiait déjà l’idéal de beauté d’une façon qui nous semble toujours aussi progressiste. Aujourd’hui, on apprécie de plus en plus les sourcils naturels, mais laisser des poils intacts et indomptés sur son visage est encore considéré comme un acte subversif. La mannequin Sophia Hadjipanteli, qui a un monosourcil naturel et plus de 179 000 abonnés sur Instagram, reçoit fréquemment des insultes sur les réseaux sociaux pour son refus de se soumettre à la norme.

Le monosourcil de Frida Kahlo est important, car il défie les conventions sans hésitation. Voilà pourquoi l’artiste reste un modèle pour toutes celles qui se sentent oppressées ou montrées du doigt par une conception sociale étriquée de la normalité. Dans son journal intime, la peintre avait écrit : « J’ai longtemps cru que j’étais la personne la plus étrange au monde. Un jour, je me suis dit qu’avec autant de gens dans le monde, il devait forcément y avoir quelqu’un d’autre qui se sentait aussi bizarre et meurtri que moi. Je me suis mise à l’imaginer et je me suis dit qu’elle aussi devait penser à moi. Eh bien, si tu existes et que tu lis ça, sache que j’existe et que je suis aussi étrange que toi. »